Performance et confiance
La lettre de Marc Lasseaux
N°21/ Mars 2016
par Fouad Talbi*
Si les organisations les plus performantes sont celles où l’on promeut la confiance comme tente à le démontrer l’engouement majeur de la libération d’entreprise depuis quelques années, sur quoi repose cette relation performance – confiance si évidente aux yeux de tous mais si difficile à atteindre ?
Ce numéro de la Lettre du Psy du Travail ouvre à des paroles à propos du Travail qui s’y exprimeront régulièrement : témoignages, réflexions, discussions.
Ce mois, c’est à Fouad Talbi que j’ai demandé de traiter de la performance et de la confiance. Alors qu’une nouvelle Loi sur le Travail est en discussion, le propos de Fouad pose la question d’un travail produit sous des injonctions de méfiance. Une performance économique peut-elle s’entendre à ces seules conditions, ou y-a-t-il un autre abord par la confiance donnée et la négociation ?
Marc Lasseaux
La confiance peut se définir comme « un état psychologique se caractérisant par l’intention d’accepter la vulnérabilité sur la base de croyances optimistes sur les intentions (ou le comportement) d’autrui ». Donner ou avoir confiance en son manager / au managé / à son organisation ne reposerait donc pas sur l’illusion que ces derniers seraient parfaits et sans défauts mais bien sur le fait d’en accepter les défauts et faiblesses en lien avec la reconnaissance positive de ce qu’ils sont. Si nous sommes capables d’accepter l’imperfection pourquoi les organisations se montrent-elles et communiquent-elles alors en interne comme en externe sous le format le plus parfait ? Cette posture n’est-elle pas au contraire contreproductive et propice à la méfiance qui peut réduire à néant tous les aspects positifs construits ?
La confiance, une transparence assumée au service de la valorisation de ses collaborateurs
Faire confiance c’est être dans la reconnaissance de l’autre
Aujourd’hui, la confiance est indispensable car elle est le plus grand levier de création de valeur qui puisse exister.
Décloisonner, jouer la carte de la transparence et de l’imperfection, inclure les personnes concernées pour ce qu’elles sont et non pas pour leur titre, tout en posant les contraintes de manière sincères et objectives d’un problème, permettra d’éradiquer celui-ci tout en valorisant les collaborateurs et en les libérant de tensions latentes. Des tensions qui s’exprimeraient par ailleurs par un désengagement du collaborateur voire par un sabotage de son propre travail. La confiance apaise.
Comme j’ai pu le constater lors de mes interventions dans différentes usines de production, qui mieux que ceux qui travaillent sur leur machine 8 heures par jour connait ce qu’il faut améliorer pour la rendre plus performante ? Le responsable maintenance ou de production, peut-être ? Certainement pas. Donner les moyens de résoudre des problèmes ensemble, de trouver de nouvelles opportunités ou des solutions innovantes, partager le pouvoir de décision avec ceux qui font, c’est libérer l’énergie latente des collaborateurs, une énergie créative et productive insoupçonnée pour laquelle le dirigeant et le manager se battent tous les jours à obtenir. Cela permet également de soulager les encadrants de pressions inutiles et de problèmes auxquels ils n’avaient de toute façon pas les moyens de répondre.
La confiance rend légitime.
Rendre acteur ses collaborateurs en valorisant leur intelligence, leur prise d’initiative, leurs compétences parfois cachées par une fiche de poste parfois trop restrictive est le meilleur moyen de fluidifier l’organisation, de créer de la valeur durable et de faire l’économie de recourir à des ressources externes pour des tâches dont nous avons découvert des compétences jusque-là inconnues au sein de nos équipes.
La confiance s’organise.
Cela passe par un management participatif voire collaboratif sincère qui respecte certains principes.
Dans une organisation, cela implique de la cohérence à tous les niveaux et le management en premier lieu.
C’est replacer objectivement le sens de son activité et ses actions : pour qui je travaille véritablement ? Il ne devrait y avoir que la satisfaction de mon client et le bien-être de mes collaborateurs car ceux sont eux qui ont véritablement l’avenir d’une entreprise entre leurs mains.
C’est donner les moyens à chacun de s’approprier sa mission et sa fonction tout en l’accompagnant. Il est illusoire de penser que tout le monde a le même niveau d’exigence, de connaissance et de compréhension face à une tâche ou une démarche. Laisser faire et corriger est plus efficace que répéter et blâmer : c’est reconnaitre à ses collaborateurs le droit à l’erreur et à l’expérimentation.
C’est revoir la fonction même du dirigeant et du manager qui placent leur confiance entre les mains de leurs collaborateurs. Ils ne sont plus considérés comme « les sachants » qui détiennent le contrôle mais comme « organisateurs », « facilitateurs », et « catalyseurs » de l’énergie et de la cohérence du groupe afin que tous trouvent leur place et grandissent dans l’organisation.
Les obstacles à la confiance.
Faire le pari de la « présomption de confiance » comme nouvelle ligne managériale peut sembler logique mais n’est pas chose aisée car nous venons d’une culture séculaire basée sur le contrôle. Il faut pourvoir aller jusqu’au bout des choses et assumer la confiance donnée car elle ne peut être rendue. Cela implique d’accepter de s’ouvrir vers l’inconnu, de se soumettre à une période de chaos, transitoire, douloureuse mais libératrice à entendre les pratiquants de ce management. Il n’est peut-être pas adapté à tous.
Entamer une relation de confiance commence déjà et avant tout par se faire confiance soi-même. Accepter de lâcher prise, affronter ses peurs, reconnaître ses faiblesses, mettre son égo au service des autres, faire place à l’optimisme et à la bienveillance doivent déjà s’appliquer à soi avant d’être réclamé à son organisation. C’est aussi la capacité non seulement de donner mais aussi et surtout d’être capable de recevoir.
Finalement, n’est-ce pas en se détourant volontairement de la performance par le prisme de l’homme que l’on devient véritablement et durablement performant ?
Et même si cela demande des efforts sur soi, aujourd’hui, dans ce monde aussi changeant, qu’imprévisible qui peut se priver du « croire ensemble »?
*Après un double diplôme (Ingénieur Centrale Lille – ITEEM et Business School), ce lillois de naissance intègre, après un passage en cabinet d’audit financier, un cabinet de conseil en amélioration des performances opérationnelles. Dans ce cadre, il a conduit des opérations de management du changement et de Lean Management auprès de PMI ou de grands groupes tels que Carrefour ou Wrigley. Il se spécialise ensuite dans les approches collaboratives et innovantes (Lab Innovation, Design Thinking, Effectuation, Innovation Sociale) et intervient notamment dans le cadre pédagogieue des « Lab’Innov’acteurs » où il accompagne des étudiants de l’ITEEM et des collaborateurs d’entreprise à la réinvention du business modèle de leur organisation.
Prochains numéros de « La Lettre » :
- Avril, édition Psy et Culture.
- Mai, édition Psy du Travail.
1Traduction française issue de la très influente revue de management et de business Academy of Management Review (en), vol. 23, no 3, 1998, « Not So Different After All: A Cross-Discipline View of Trust », p. 393-404
2Traduction latine de confiance : con- (« ensemble ») et fidere (« se fier », « croire »)
Mots-clefs : confiance, performance