Psy / corps et esprit

La lettre de Marc Lasseaux

N°26/ avril-mai 2017triptyque HD

Le corps ne se définit pas seulement par du fonctionnement et des organes. S’y inscrivent les affects : émotions, sentiments, impressions, parfois aussi ce qui a fait trauma; le désir, du plaisir et de la souffrance. La division entre corps et esprit est un héritage du judéo-christianisme qui fait retour aujourd’hui dans une théorie du mental, sans inscription dans le corps. Pour le clinicien, le corps, par la somatisation, dit quelque chose qui n’est pas mis en parole, ou qui est refoulé. Comme la présence et le mouvement d’un corps dans l’espace parlent de la relation à l’autre, au monde (ou à son monde). Ce mois, nous donnons la parole à un soignant du corps qui ne prétend pas faire acte thérapeutique. Pour autant, dans ce corps-à-corps du masseur à son patient, dans l’énergie que le praticien imprime au corps de l’autre et à son apaisement, repère-t-il des enjeux affectifs de son patient ? Nous avons demandé à Gaétan Lignier, masseur, de dialoguer sur ces questions. 

Interview / Gaétan Lignier / « Mes mains parlent »

Psy & Co – Quel est ton itinéraire ?
Gaétan Lignier – Assez hétéroclite, originellement diplômé d’un Institut d’Etudes Politiques, je me suis heurté à un plafond de verre et me suis essayé à de nombreux métiers avant de rentrer dans la Fonction Publique. Un burn out et des situations conflictuelles à mon travail m’ont amené à une prise de conscience fondamentale : revenir à l’écoute de mon moi profond, cesser la sur-adaptation constante, simplement me respecter. Altruiste, empathique et fortement kinesthésique, mon choix de faire un virage à 180 degrés m’a paru évident. J’ai ainsi commencé mes formations en massage bien-être comme première étape vers la somatothérapie. Je continue mes formations.


P&C – Le massage peut être perçu comme une action extérieure d’un intervenant sur un corps. Peut-on dire qu’il a une fonction thérapeutique, c’est-à-dire des effets du corps sur les affects ?
GL- Non seulement on peut le dire, mais c’est même physiologique. Un massage permet à l’hypophyse de sécréter notamment de l’ocytocine en moins de dix secondes. En parallèle, non seulement le corps ne génère plus de cortisol, mais en plus l’ocytocine contribue à la baisse du rythme cardiaque et du taux de cortisol. Partant de ce constat, l’action relaxante sur les tissus, les muscles, les tendons, voire les articulations, s’avère au fur et à mesure du massage. Aussi, a minima, un massage permet une action de relâchement. Ne nous y trompons pas, son ampleur variera selon les personnes, leur réceptivité, leur ouverture, et simplement leur habitude et acceptation à être massé et à se libérer. Nous en arrivons aux affects, puisqu’ils peuvent être la première barrière, provoquant par exemple des phénomènes de retenue des membres. Il est toujours étonnant de voir un bras que l’on a doucement soulevé rester suspendu en l’air !

Il s’agit d’une action purement mentale, de contrôle, de peur de la perte de maîtrise. Il n’est pas rare qu’un massage amène des pleurs, des expressions de colère, de désespoir, voire de peur, de blocage respiratoire, de nausées ou vomissements. Comment expliquer cela autrement que par un lien étroit entre l’action physique et sa contrepartie psychique ? D’ailleurs, les approches psychocorporelles sont reconnues, et le massage tel que je le pratique en fait partie.
La somatothérapie consiste à partir du corps, se nourrir de ce lien étroit, pour permettre au patient de prendre conscience de limites qui se manifestent dans son corps (douleurs, blocages etc), d’intégrer leur relâchement en fin de séances de toucher, quel qu’il soit. Des échanges verbaux sont évidemment possibles et utiles pour accompagner ce chemin, dans la droite ligne de techniques psychothérapeutiques classiques.

P&C – Interviens-tu sur ou dans le corps d’un autre ?
GL- Il serait tentant d’affirmer que l’on intervient « dans » le corps, tant le lien et la confiance peuvent être parfois étroits, et les effets exercés profonds. Pour autant, il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas, dans mon optique, de rendre les personnes massées dépendantes de pratique régulière, mais plutôt de leur faire prendre conscience de leur pouvoir, de leurs ressources intérieures, et leur capacité à être leur propre (et meilleur) thérapeute.
Parallèlement, il ne s’agit pas que d’intervenir sur le corps. Durant le massage, des gestes paraissent évidents du fait des manifestations de la personne massée, et tout simplement les mains parlent, elles sentent ce qui est juste pour la personne -et qui peut parfois impliquer la résurgence de douleurs ou de difficultés. Se contenter de la surface serait perdre un pan de la relation de confiance établie.
Je dirais qu’il s’agit d’un mélange entre les deux, accompagner la personne massée dans la (re) découverte de son corps, de son histoire, de ses difficultés de vie enkystées, des ankyloses émotionnelles qu’elle peut connaître. En quelque sorte, lui donner l’information finalement si simple d’un corps détendu, de membres relâchés, d’un esprit apte à se libérer et s’apaiser.
Bref, un travail sur le corps et sur l’esprit, tant les deux sont indissociables. 

Site de Gaétan  

 


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